« Une avancée cruciale »

Thomas Christen, responsable de l’unité de direction Assurance maladie et accidents à l’Office fédéral de la santé publique, défend notre système social malgré l’augmentation des primes. Il la compare à un vélo qui a besoin de mouvement et d’équilibre.

Thomas Christen, que signifie le pouvoir pour vous ?

Thomas Christen : Le terme de pouvoir implique que l’on peut imposer quelque chose tout seul, même contre la volonté des autres. C’est pourquoi je préfère de loin le terme d’influence. Il est clair que l’on peut influencer quelque chose, mais que l’on ne décide pas seul.

Vous avez été secrétaire général d’une ONG, d’un parti, collaborateur personnel d’un conseiller fédéral et êtes aujourd’hui responsable de l’unité de direction de l’assurance maladie à l’Office fédéral de la santé publique (OFSP). Dans lequel de ces postes avez-vous eu le plus d’influence ?

Thomas Christen : J’ai toujours eu le privilège de pouvoir m’engager dans des domaines qui me tiennent à cœur. Si vous voulez changer les choses, vous avez bien sûr besoin d’influence. Dans tous les postes que j’ai occupés, j’ai pu exercer une certaine influence dans les domaines concernés. Mais j’ai toujours su que l’on ne peut avancer qu’avec les autres. En particulier maintenant, dans l’administration, je fais partie d’un grand ensemble.

Le poste de secrétaire général du PS vous permettait-il d’agir plus librement ?

Thomas Christen : On y est évidemment plus indépendant. Dans ma fonction actuelle, j’apprécie particulièrement de pouvoir être au plus près des préoccupations de la population et de contribuer concrètement à faire avancer les choses. »

Vous avez commencé par formuler des demandes, puis vous avez dû les coordonner et enfin les mettre en œuvre. Qu’est-ce qui vous a le plus plu ?

Thomas Christen : Toutes ces tâches qui me plaisent. Dans l’administration, il s’agit bien sûr en premier lieu de mettre en œuvre les décisions du gouvernement et du parlement. Mais il s’agit aussi de préparer et de proposer de nouvelles solutions possibles.

Cela fait neuf ans que vous vous occupez de l’assurance maladie. Est-ce une tâche aussi titanesque qu’il y paraît de l’extérieur ?

Thomas  Christen : En principe, l’assurance maladie a un grand objectif, que l’on peut résumer ainsi : Personne ne devrait devenir pauvre parce qu’il tombe malade, et personne ne devrait tomber ou rester malade parce qu’il est pauvre. Cette promesse, faite lors de l’introduction de l’assurance maladie il y a 30 ans, a pu être tenue.

Vraiment ?
Thomas Christen : Oui. A l’époque, l’accent principal était mis sur le fait que tout le monde devait avoir un accès égal aux soins de santé primaires, tout en gardant l’œuvre sociale finançable. C’est la simple idée de base. Mais il va de soi que l’enjeu est de taille : nous dépensons plus de 50 milliards de francs par an pour l’assurance maladie, plusieurs centaines de milliers de personnes travaillent dans le secteur de la santé et la santé est l’un des sujets les plus émotionnels et les plus importants de notre société. Il est donc clair qu’il y a beaucoup d’intérêts différents et que tout cela semble un peu complexe.

En tant que citoyen, on a l’impression de devoir payer toujours plus pour des services toujours moins nombreux. Partagez-vous ce point de vue ?

Thomas Christen : Non. D’un côté, les primes d’assurance-maladie ne cessent d’augmenter, ce qui représente une charge trop lourde pour de nombreux ménages. C’est pourquoi l’un des grands défis consiste à maîtriser les coûts et à freiner cette hausse. D’un autre côté, les assurés bénéficient de plus en plus de prestations : les progrès médicaux, les nouveaux médicaments, les traitements innovants et un accès plus rapide aux soins ont considérablement amélioré le système. L’enjeu, aujourd’hui, est donc de maintenir un équilibre entre la qualité et l’accessibilité des soins, tout en garantissant leur financement à long terme.

L’assurance maladie est-elle pour autant un chantier permanent ?

Thomas Christen : Oui. Je l’ai déjà comparée à un vélo. Ce n’est qu’en restant en mouvement et en maintenant le bon équilibre entre l’accès et la viabilité financière qu’elle pourra avancer.

Qu’est-ce qui a été le plus utile ces dernières années, où des progrès ont-ils réellement été réalisés ?

Thomas Christen : Nous sortons d’une phase au cours de laquelle le Parlement, mais aussi le peuple, ont adopté des réformes très importantes : le financement uniforme, des objectifs de coûts, davantage de fonds pour la réduction des primes, mais aussi un nouveau système tarifaire. Je pense que l’assurance maladie est bien positionnée grâce à ces réformes. Mais il faut maintenant que ces réformes soient correctement appliquées.

Quand on entend les cris d’orfraie, par exemple ceux des hôpitaux pédiatriques à propos des nouveaux tarifs de l’assurance accident, on en doute.

Thomas Christen : Sans entrer dans les détails de cet exemple, il faut simplement être conscient qu’il s’agit de beaucoup d’argent. Il s’agit de beaucoup de personnes, d’un enjeu important. Il y a donc beaucoup d’intérêts en jeu, et les décisions prises ne satisferont jamais tout le monde. Et la plupart du temps, ceux qui sont moins satisfaits s’expriment plus bruyamment que ceux qui le sont. On peut donc avoir l’impression qu’il y a beaucoup de problèmes. Mais je suis convaincu que, dans l’ensemble, l’assurance-maladie est bien positionnée.

Avec le recul, on voit toutefois que certaines réformes et décisions politiques prêtent à débat, tant sur leur bien-fondé que sur leurs limites. Était-ce par exemple une erreur de réduire artificiellement le nombre de médecins ? Nous avons maintenant trop peu de médecins et devons les importer de l’étranger, avec tous les problèmes linguistiques et autres que cela implique.

Thomas Christen : Je pense que la question de la pénurie de personnel qualifié, par exemple le maintien d’un nombre suffisant de médecins et la garantie d’une qualité élevée, est effectivement l’un des plus grands défis. La question de l’admission ne doit jamais être un frein pour tout le monde dans la même mesure. Ce serait une mauvaise approche.

C’est pourtant ce qui a été fait il y a des années.

Thomas Christen : Aujourd’hui, ce n’est plus vraiment un sujet. Mais il faut reconnaître que des déséquilibres persistent : certaines régions comptent trop de spécialistes, tandis que d’autres manquent de médecins de premier recours. Je comprends donc que les cantons souhaitent intervenir lorsque la densité de certains spécialistes devient excessive.

Le potentiel d’économies grâce aux génériques a-t-il été surestimé ?

Thomas Les chrétiens : Je ne pense pas. Après avoir constaté qu’il y avait relativement peu de génériques sur le marché suisse, nous avons pris différentes mesures pour les promouvoir, la dernière en date étant celle d’il y a deux ans. Aujourd’hui, nous constatons que la part des génériques ne cesse de croître. C’est une bonne chose et une approche importante pour freiner la croissance des coûts. Mais il va de soi que cela ne concerne qu’une partie des médicaments. Il n’existe pas de génériques pour les médicaments innovants qui sont souvent très coûteux.

Les forfaits par cas sont-ils vraiment la panacée ?

Thomas Christen : On en attendait beaucoup et je pense qu’ils ont contribué à stabiliser les coûts dans le secteur hospitalier au cours des dernières années. Les craintes exprimées lors de l’introduction des forfaits par cas ne se sont heureusement pas concrétisées. Mais il faut dire que tout système tarifaire comporte des incitations perverses et qu’il n’en existe aucun qui puisse s’en passer. En principe, il est néanmoins juste d’aller dans le sens des forfaits et de ne pas tarifer chaque prestation individuellement, ce qui se fait actuellement aussi dans le domaine ambulatoire.

Chaque canton continue de déterminer son infrastructure hospitalière – et si un membre du gouvernement la remet en cause, il risque d’être destitué. La politique est-elle dépassée par ce marché de plusieurs milliards administré par l’État ?

Thomas Christen : Dans l’assurance maladie, l’influence est répartie entre la Confédération, les cantons et les acteurs. Les cantons jouent donc un rôle important. Au sein de chaque canton, la planification hospitalière fonctionne également bien. Mais il faut encore une plus grande collaboration entre les cantons, il faut davantage de planification suprarégionale des infrastructures hospitalières. Il y a effectivement encore un certain potentiel d’amélioration.

Plus fondamentalement, la loi sur l’assurance-maladie, avec son idée de concurrence, est-elle vraiment la bonne approche ou une caisse unique, comme le demande régulièrement le PS, serait-elle préférable ?

Thomas Christen : En matière d’assurance maladie, nous connaissons la concurrence régulée, c’est-à-dire le marché et l’État. En principe, cet équilibre a fait ses preuves. Le nombre de caisses maladie a été fortement réduit ces dernières années. Au début, il y en avait plus de 100, aujourd’hui il en reste un peu plus de 30, dont une dizaine de grandes. Il y a donc eu une consolidation. Le système apporte également une certaine concurrence en matière d’innovation entre les assureurs. Mais il va de soi que les deux systèmes ont des avantages et des inconvénients. Jusqu’à présent, la population a rejeté le passage à une caisse unique.

N’êtes-vous pas frustré de voir que même la plus petite étape de réforme est difficile à mettre en œuvre et que la montagne finit généralement par accoucher d’une souris ?

Thomas Christen : La politique de santé est, comme la politique en général, un travail ardu, un vrai travail de longue haleine. Il faut faire preuve de persévérance et rester longtemps à l’œuvre. Mais si l’on prend un peu de recul et que l’on compare ce que l’on espérait de l’assurance-maladie il y a 30 ans à ce que l’on a aujourd’hui, je crois vraiment qu’elle représente une avancée extrêmement importante, qui tient sa promesse principale. Bien sûr, tout prend souvent un peu plus de temps que ce que l’on souhaiterait, mais cela fait partie de notre système politique. Et il faut certainement disposer d’un solide soutien, car ceux qui ne sont pas satisfaits d’une décision se font généralement entendre plus fort que les satisfaits. Mais cela fait partie du métier. Il n’y a donc aucune raison de se résigner.

Vous n’arrêtez donc pas à la fin de l’année par frustration ?

Thomas Christen : Non, pas du tout. J’ai toujours la passion de la santé et je souhaite rester dans ce domaine en tant qu’indépendant.

Qui peut vous contredire en privé ?

Thomas Christen : En principe, tout le monde peut le faire, car j’aime qu’une contradiction me permette d’avancer sur le fond. Je ne crains pas le débat sur le fond, que ce soit dans ma vie privée ou professionnelle. C’est pourquoi on peut me contredire et on le fait.

Que faites-vous pendant votre temps libre, réfléchir à la caisse vers laquelle vous voulez changer avant la fin novembre ?

Thomas Christen : Non, au contraire. Je dois l’avouer : Je suis assez paresseux quand il s’agit de changer de caisse. Je pense que j’ai déjà assez à faire avec elles au travail. Je préfère alors passer mon temps libre avec ma famille, ou à nager et à faire du vélo.

Thomas Christen (50 ans) est né et a grandi à Saint-Gall, où il a étudié le droit. Il est entré dans la vie professionnelle en tant que secrétaire général du Nouveau mouvement européen suisse (Nebs). En 2002, il a rejoint le PS, où il a notamment travaillé comme chef de la communication et secrétaire général. Il a ensuite passé cinq ans comme collaborateur personnel du conseiller fédéral Alain Berset. Depuis 2017, Christen est directeur suppléant de l’Office fédéral de la santé publique (OFSP), responsable de l’unité de direction de l’assurance maladie et accidents, poste qu’il quittera à la fin de l’année. Père de deux fils âgés de 14 et 27 ans, il vit à Berne avec sa compagne, la politicienne socialiste Ursula Wyss, et son fils cadet.

*Au cœur du pouvoir
Ils occupent des postes décisifs, mais sont rarement sous les feux de la rampe : secrétaires généraux de partis ou de départements fédéraux, directeurs d’associations ou directeurs d’organisations non gouvernementales. Si la Suisse a besoin de solutions politiques, ils contribuent à les développer. Nous vous invitons régulièrement à découvrir les coulisses du pouvoir.

La société, l’économie et les bébés

Comment le taux de natalité façonne l'économie mondiale

« Mens sana in corpore sano » version 2025

Ophélia Jeanneret directrice du Service Sport Santé UNIL+EPFL sait pourquoi il faut faire bouger les étudiants et les chercheurs. Et ce qui relie la politique, le sport et la santé.

« Dans un monde troublé, l’intelligence collective est indispensable. »

Le directeur de la CCIG Vincent Subilia a pris la présidence de la faîtière regroupant les 19 chambres de commerce suisses et du Liechtenstein en juin dernier.

La démocratie à l’épreuve : pourquoi la Suisse est un modèle mondial

Les mouvements populistes gagnent du terrain. A quoi cela est-il dû ?

Mission IA : comment les agents autonomes pensent, apprennent et agissent

L'intelligence artificielle (IA) a fait d'énormes progrès au cours des dernières années - l'un des développements les plus fascinants est celui des agents IA. Mais comment fonctionnent-ils exactement ?

It’s the end of the World (Wide Web) as we know it

L'IA change radicalement Internet, quelles conséquences pour les entreprises et les politiques ?

La compétence en IA, un facteur de réussite

Pourquoi la maîtrise de l'intelligence artificielle détermine l'avenir des étudiants, des travailleurs et des entreprises

Ce que vous devez savoir sur l’IA générative

Cinq conclusions d'une nouvelle étude qui incitent à repenser les choses.

#LongCovid – Un hashtag comme bouée de sauvetage

Le mouvement Long COVID montre de manière exemplaire comment les personnes concernées peuvent jouer un rôle clé dans l'amélioration des soins de santé.