« Le rire a un puissant effet anti-stress »
La professeure de psychologie Andrea Samson explique comment l’humour peut nous aider à rester confiants, même dans les situations difficiles.
La professeure de psychologie Andrea Samson explique comment l’humour peut nous aider à rester confiants, même dans les situations difficiles.
Comment gérez-vous, en tant que psychologue, le volume d’incertitudes et de mauvaises nouvelles qui s’abat actuellement sur nous ?
Andrea Samson : Je pense qu’il est important de continuer à s’informer, mais aussi de savoir repérer quand le flux d’informations devient trop important. Il y a des moments durant lesquels nous ne faisons que regarder s’il s’est passé quelque chose et ce que le président américain a dit. Il est alors très important de sentir quand on est submergé et de dire de temps en temps : « Maintenant, je ne regarde pas les nouvelles et je prends volontairement mes distances ».
De temps en temps, vous renoncez délibérément à suivre l’actualité ?
Samson : Oui, pour ne pas m’exposer constamment à une perte de contrôle. Nous ne pouvons généralement pas influencer directement les événements mondiaux. Tout ce que nous pouvons faire, c’est effectuer des dons ou tenter d’agir pour le bien d’une manière ou d’une autre. Mais même de cette façon, nous restons largement à la merci de l’actualité.
Est-il normal que la situation mondiale effraie la plupart d’entre nous ?
Samson : L’incertitude est toujours un facteur de stress potentiel. Certains sont plus à même de la gérer, ils ont une vision plus optimiste de l’avenir et pensent qu’une solution sera trouvée. D’autres ont plus de mal à vivre avec l’incertitude et envisagent l’avenir avec inquiétude. Cela se voit aussi dans la vie quotidienne. Lorsque les choses ne se déroulent pas comme prévu, certains sont stressés, tandis que d’autres réagissent avec plus de souplesse.
Que pouvons-nous faire pour combattre nos peurs ?
Samson : Il existe des stratégies que nous pouvons appliquer lorsque nous sommes anxieux ou stressés. C’est là qu’intervient la régulation émotionnelle, c’est-à-dire notre gestion des émotions. La recherche a montré que nous faisons beaucoup de choses au quotidien pour gérer les émotions non seulement négatives, mais aussi les positives. Chaque jour, nous sommes très actifs pour nous sentir bien et pour renforcer nos émotions positives. Nous créons des situations pour nous sentir bien. Cependant, on observe de grandes différences dans la façon qu’ont les gens de déployer ces stratégies pour réguler leurs émotions, sans même parler de quelles stratégies ils ont apprises.
Cela dépend-il de l’éducation ?
Samson : Il est intéressant de noter que nous apprenons tout au long de notre vie à développer notre capacité à réguler nos émotions. Ce n’est pas quelque chose que l’on acquiert ou non simplement pendant l’enfance et l’adolescence, et puis c’est fini, et on est limité à ce bagage pour le restant de sa vie. L’être humain a une grande capacité à développer son intelligence émotionnelle à l’âge adulte. Cela vaut aussi pour les défis qu’il rencontre toute sa vie.
Vous recommandez l’humour comme stratégie pour surmonter la peur et retrouver l’espoir.
Samson : Je ne dis pas qu’il s’agit d’une recette que l’on peut utiliser partout et tout le temps. Mais il est fascinant de voir à quel point il peut être plus efficace d’adopter une nouvelle perspective sur une situation négative de manière humoristique plutôt que simplement sérieuse. La stratégie sous-jacente s’appelle la réévaluation cognitive et a fait l’objet de nombreuses études. Elle consiste à changer de perspective sur une situation qui nous procure des émotions négatives. Par exemple, si je dois aller chez le dentiste, je peux me focaliser sur la peur de la douleur. Je peux aussi penser que mes dents seront plus belles après et qu’il n’y aura plus de carie qui pourrait nuire à ma santé.
Mais cela n’a pas grand chose à voir avec l’humour ?
Samson : Pas encore. Mais si vous parvenez à changer de perspective de manière amusante, cela peut être très bénéfique. Il n’est certes pas facile, dans une situation qui vous stresse, de pouvoir en faire une blague et peut-être de voir l’absurdité de la situation. Mais si vous y parvenez, c’est plus efficace qu’une réinterprétation sérieuse.
Il est donc plus utile, lorsque vous allez chez le dentiste, de ne pas simplement penser au sourire éclatant qui suivra, mais aux dents de vampire que le dentiste pourrait vous donner et d’en rire ensuite ?
Samson : Oui, tout à fait. Le rire et les émotions positives peuvent, dans une certaine mesure, atténuer les émotions négatives. Le rire a un puissant effet de réduction du stress. C’est aussi le cas dans un contexte social, il est très important de rire ensemble.
L’humour comme stratégie ne signifie pas pour autant ne regarder que des comédies et ne faire que des blagues ?
Samson : Bien sûr, l’humour peut aussi n’être qu’une distraction. Mais ce qui m’intéresse en tant que chercheur, ce sont les changements de perspective humoristiques, où les gens, même dans des situations désespérées et terribles, parviennent d’une manière ou d’une autre à reconnaître une absurdité et à s’en réjouir. On sait que l’on ne peut pas changer la maladie, que l’on ne peut pas éviter la mort, mais on parvient à se concentrer sur quelque chose qui nous réjouit à court terme. Les questions suivantes me passionnent particulièrement : Dans quels contextes l’humour est-il ou non efficace ? Est-ce que tout le monde peut le faire, ou est-ce que la personne qui raconte une blague dans une situation donnée joue un rôle ? J’essaie de mieux comprendre quand l’humour est approprié et quand il ne l’est pas.
Quelles sont les conclusions auxquelles vous êtes parvenu ?
Samson : Bien que nous ayons réalisé quelques études sur l’humour et les stratégies de régulation des émotions, nous ne pouvons pas encore suffisamment rendre compte de chaque contexte ou des facteurs individuels qui sont importants. La relation avec la personne qui raconte la blague est également importante. J’ai l’intention d’étudier le rôle exact de cette relation dans le cadre d’un projet de recherche.
Vous ne pouvez donc pas tirer de vos recherches des recommandations concrètes pour simplifier la vie des gens ?
Samson : Si. On pourrait arriver à de telles recommandations si, par exemple, on examinait dans une étude contrôlée quelles caractéristiques individuelles sont bien corrélées avec quel type de blague. Mais il est toujours difficile de faire des déclarations générales de ce genre. Il n’est pas non plus possible de changer complètement. Certaines personnes sont plus faciles à faire rire, d’autres sont plus sérieuses. C’est dans leur nature. Même si quelqu’un apprend à reconnaître plus de choses humoristiques dans la vie quotidienne, on ne peut pas s’attendre à ce qu’il ou elle devienne le boute-en-train de l’assemblée. Ce serait trop demander. Ce que l’on peut faire, en revanche, c’est travailler sur sa propre perception de son environnement.
Comment ?
Samson : En essayant par exemple de se concentrer dans la vie quotidienne sur ce qui est en fait potentiellement drôle. Y a-t-il des éléments qui me donnent envie de rire ? Est-ce que je dois tout prendre au sérieux, est-ce que je dois tout ramener à moi ou est-ce que je peux parfois utiliser l’humour pour relativiser certaines situations ? Ce sont de petits outils qui nous permettent d’apprendre des stratégies pour rendre notre quotidien plus facile.
Comment étudiez-vous cela exactement ?
Samson : Il existe de nombreuses approches dans la recherche psychologique. Par exemple, nous avons montré à des participants des images qui n’étaient pas extrêmement négatives, mais qui suscitaient des sentiments négatifs. Nous avons ensuite demandé aux gens de changer de perspective pour se sentir mieux. Pour d’autres images, nous avons demandé aux mêmes personnes d’essayer de changer de perspective de manière humoristique et de faire une blague à ce sujet pour se sentir mieux. Nous avons alors constaté qu’il était significativement plus difficile pour nos participants d’inventer une blague que de changer sérieusement de perspective.
Est-il fondamentalement plus difficile de trouver une approche humoristique ?
Samson : Pour certaines personnes, oui. Mais si elles y parviennent, elles peuvent réguler leurs émotions plus efficacement. Elles se sentent mieux et moins négatives. Ce n’est pas seulement un effet immédiat, mais cela dure. Une semaine plus tard, nous avons montré à nouveau les images. Les images qui avaient été interprétées de manière humoristique étaient toujours perçues de manière moins négative. Cela montre bien une chose : l’humour a un effet sur la perception que nous nous faisons des situations. Il peut nous aider à nous sentir mieux à court terme. Il ne change pas la situation, mais il change notre perception de la situation.
Comment en êtes-vous venu à considérer l’humour comme un sujet de recherche ?
Samson : C’est grâce à mon directeur de thèse, Oswald Huber. Il faisait de la recherche sur la prise de décision, mais était lui-même caricaturiste. Il m’a demandé si je préférais faire de la recherche sur l’humour ou sur la décision. J’ai alors pensé que l’humour était une niche qui n’avait pas encore été très étudiée. C’est créatif et interdisciplinaire : dans la recherche sur l’humour, il y a des sociologues, des spécialistes des médias, des neuroscientifiques, des linguistes, des psychologues et des philosophes. Je trouve l’humour passionnant parce qu’il imprègne notre vie.
Dans la vie privée, êtes-vous une personne qui a le sens de l’humour et des loisirs amusants ?
Samson : Pour savoir si je suis drôle, il faut demander à mon entourage. Quant à savoir si l’on peut avoir beaucoup de hobbies en plus de travailler à plein temps et de s’occuper des enfants, c’est une autre question (rires). Quoi qu’il en soit, j’aime cuisiner, être créative et sortir dans la nature avec mes enfants. Bien sûr, je me tiens aussi au courant des dernières actualités en matière de comédie, c’est dans la nature des choses.
Andrea Samson (47 ans) est née à Fribourg et a grandi à Constance et à Schwyz. Elle a étudié la psychologie et les neurosciences à l’Université de Fribourg et a obtenu un doctorat sur le thème de l’humour. Elle a effectué son post-doctorat à l’Université de Stanford de 2010 à 2015, puis a poursuivi ses recherches à l’Université de Genève et de Fribourg, entre autres. Depuis 2018, elle est professeure à UniDistance Suisse. Andrea Samson vit à Fribourg avec son mari et ses deux fils âgés de six et douze ans.