Que signifie pour vous le pouvoir ?
Je n’aime pas particulièrement le terme « pouvoir » dans une démocratie directe comme celle que nous avons la chance d’avoir en Suisse. Je préfère parler d’influence. Ce qu’il y a de bien en Suisse, c’est que l’on peut exercer une influence à différents niveaux, mais qu’au final, il faut toujours une chaîne de personnes et d’instances différentes pour décider que quelque chose va se faire. J’aimerais que l’Union des transports publics (UTP) puisse participer à l’élaboration de la politique des transports, afin que les décisions soient prises de manière à renforcer la mobilité durable et donc les transports publics.
Est-ce que cela réussit ? L’UTP est-elle une association influente ?
C’est même une association très influente. Nous sommes la seule association à prendre position sur tous les sujets relatifs aux transports publics. Souvent, seuls les cantons et nous-mêmes sommes invités aux auditions du Parlement. Il ne faut pas oublier qu’il n’est pas écrit UTP partout et pour tout ce que nous faisons. Par exemple, la LITRA diffuse en fait les positions de l’UTP lors des manifestations parlementaires.
Comment l’UTP exerce-t-elle son influence exactement ?
De nombreuses discussions sont au premier plan. Afin de faire valoir notre position suffisamment tôt, nous menons des discussions étroites avec l’Office fédéral des transports (OFT) et le Département fédéral de l’environnement, des transports, de l’énergie et de la communication (DETEC). Je ne dis pas que l’OFT et le DETEC font toujours ce que l’UTP veut. Mais nos réflexions sont toujours prises en compte. Il existe de nombreux groupes de travail ; nous échangeons également beaucoup avec les autorités cantonales et d’autres associations.
Comme la prochaine étape d’aménagement ferroviaire coûte presque deux fois plus cher que prévu, des projets comme la gare souterraine de Lucerne ou l’aménagement complet du tunnel du Lötschberg sont sur la sellette : l’UTP est-elle en train de perdre de son influence ?
Pas du tout. Une révision des projets a du sens. C’est pourquoi je ne vois pas les discussions en cours comme dramatiques. Il est toujours vrai que les régions et les cantons souhaitent beaucoup plus d’ouvrages que ce qui est réalisable. L’important est de prendre les bonnes décisions pour réaliser ce qu’il faut.
Quelles sont les bonnes décisions ?
Celles qui mettent l’accent sur les avantages pour le transport de personnes et de marchandises. L’offre future doit donc être claire — et apporter un avantage. Autre point très important : il faut d’abord disposer des moyens nécessaires pour l’entretien et l’exploitation, sinon nous nous retrouverons dans la situation de l’Allemagne. La Suisse est en très bonne voie dans ce domaine. Nous avons mis en place le fonds d’infrastructure ferroviaire, qui a fait ses preuves. Peut-être faut-il procéder à certains ajustements, mais dans l’ensemble, nous sommes très performants.
Mais dans le cadre du programme d’économies, l’UTP n’a pas pu empêcher que les fonds destinés au trafic régional soient réduits et que la promotion des trains de nuit soit supprimée.
Ce ne sont que des propositions du Conseil fédéral. Pour faire du lobbying, il faut aussi voir où l’on peut exercer une influence et où l’on ne peut pas. En matière de politique financière, l’ensemble du Conseil fédéral ne vise peut-être que l’effet d’économie. Mais au Parlement, qui décide en fin de compte, c’est probablement différent.
Les propositions d’économies dans les transports publics échoueront au plus tard à ce stade ?
Il ne faut pas croire que chaque proposition sera appliquée telle quelle. Il faut parfois faire preuve de sérénité. Dans le budget de l’année en cours, nous avons par exemple obtenu des fonds pour la promotion de la mobilité électrique des bus, alors qu’ils devaient être économisés.
Comment en est-on arrivé là ?
L’une des forces de l’UTP est que nous essayons d’argumenter de manière extrêmement crédible. Si quelque chose est important pour nous, nous montrons, chiffres à l’appui, pourquoi la réduction n’a pas de sens. Nous essayons ainsi de trouver des majorités, ce que nous faisons généralement avec succès. Après tout, un bon système de transports publics est très important pour de nombreux membres de notre Parlement.
Selon les Bilatérales III, les entreprises ferroviaires étrangères doivent désormais pouvoir proposer des offres en Suisse de manière indépendante. Cela ne vous inquiète pas ?
Non, pas du tout. Le résultat des négociations est justement un exemple de bonne collaboration. Avant que la Confédération ne négocie, nous avons formulé, lors d’un entretien avec le conseiller fédéral Albert Rösti, les valeurs de référence qui nous semblaient importantes pour les négociations : que notre horaire cadencé ait la priorité, que nous puissions décider en Suisse de la manière dont les lignes sont attribués, que les entreprises étrangères soient être intégrées à notre système tarifaire et que les CFF puissent continuer à mettre en place un modèle de coopération avec les entreprises ferroviaires environnantes. Ces points faisaient partie du mandat de négociation de la Suisse et ont permis que l’ouverture partielle, telle qu’elle est prévue par les accords avec l’UE, ne mette pas en péril les acquis suisses. Nous soutenons cette position.
Prendre le train, le bus ou le tram devient de plus en plus cher, l’AG coûte environ 4000 francs. Parallèlement, les trains sont pleins à craquer sur certains trajets — et les gens risquent de reprendre leur voiture. Est-ce quelque chose qui vous préoccupe ?
Honnêtement, pas non plus. Ce qui compte, c’est une bonne offre, et nous continuons à la développer. Au cours des dix dernières années, les prix n’ont pas augmenté plus que le renchérissement, mais la contrepartie a énormément augmenté.
Où ?
Le réseau de l’AG, par exemple, ne cesse de croître, et sur la ligne Genève – Berne – Zurich – Saint-Gall, le nouveau train à deux étages offre beaucoup plus de places assises qu’auparavant, ce qui fait que l’on ne doit presque plus jamais rester debout. Comme la flexibilité est infinie dans le domaine des transports publics, on peut aller partout. C’est pourquoi nous n’avons jamais eu autant de monde qu’aujourd’hui — grâce à la qualité de l’offre.
Vous rapprochez-vous ainsi de votre objectif, à savoir que la part des transports publics dans le trafic global augmente malgré la hausse des prix ?
Les prix des transports publics n’augmentent pas constamment ! Et oui, c’est en effet notre objectif principal. 2023 a été une année record à cet égard. Nous n’augmentons pas les prix comme ça et nous ne voulons pas non plus alimenter le renchérissement. Mais s’il y a d’importantes hausses de prix, nous devons les compenser progressivement.
Le DETEC a longtemps été aux mains du PS, mais c’est désormais un conseiller fédéral UDC qui est aux commandes. Albert Rösti aime-t-il les transports publics autant que Simonetta Sommaruga et Moritz Leuenberger ?
En Suisse, chaque conseiller fédéral est conscient de la grande importance des transports publics. C’est certainement le cas d’Albert Rösti, je le sais. Il s’engage pour cela. J’ai connu de nombreux conseillers fédéraux au DETEC et je dois dire qu’en matière de politique des transports, la mentalité personnelle est plus importante que la carte de parti. Il en va peut-être autrement pour certains sujets comme le loup. Mais dans notre domaine, tout le monde est conscient que la population attend des transports publics de qualité, donc aucun conseiller fédéral ou conseillère fédérale ne veut nuire aux transports publics.
Avant de rejoindre l’UTP, vous avez dirigé le département politique de l’OFT, vous connaissez donc l’administration fédérale de l’intérieur. Est-ce que cela a changé ?
Je viens de me rendre en Allemagne et je dois dire que nous avons une bonne administration qui parvient à trouver des solutions pragmatiques. Rien à voir avec l’Allemagne, où il faut onze ans pour obtenir l’autorisation d’allonger un quai. Il n’en reste pas moins que la collaboration entre le secteur et l’OFT doit être optimisée. C’est ce à quoi nous nous attelons, nous la Suisse typique, en collaboration avec l’OFT dans le cadre d’un groupe de travail.
Qu’est-ce qui vous préoccupe le plus en tant que directeur de l’UTP ?
Ce qui me préoccupe, ce sont les difficultés que rencontrent nos pays voisins, notamment l’Allemagne. Cela met en péril notre politique de transfert modal, car l’infrastructure y est en mauvais état. Nous ne pouvons guère influencer cet état de fait, mais nous avons tous la même attitude à cet égard en Suisse. En Allemagne aussi, on est au moins conscient du problème. Lors de ma visite, j’ai pu constater que le problème dépassait largement le cadre des transports publics.
Dans quelle mesure ?
En Allemagne, ils constatent un lien direct entre le démantèlement et le manque de fiabilité des transports publics dans le pays et la perte de confiance de la population dans la démocratie. C’est pourquoi, en Suisse, on ne devrait pas non plus se contenter d’économiser sur les transports régionaux, car cela a aussi une composante politique. On n’a pas seulement une liaison de car postal en moins. Mais les gens auront le sentiment que la démocratie, « l’État », ne leur apporte plus rien. En Allemagne, l’objectif est de rétablir la confiance de la population dans les institutions.
Différent de la Suisse ?
Chez nous, nous n’avons heureusement pas de situation comparable. Le Parlement est conscient de l’importance des transports publics et du fait qu’ils ont un coût. Nous devons en tenir compte. Je ne suis pas aussi sûr des auteurs du paquet d’économies du Conseil fédéral. L’objectif principal de la Suisse n’est pas d’atteindre l’équilibre budgétaire.
Les forces autoritaires pourraient-elles gagner en influence s’il n’y a plus de liaisons de transports publics dans les campagnes ?
Oui, c’est clairement le cas en Allemagne. Même si nous sommes loin d’une telle situation, la question est la même chez nous : qu’est-ce que l’État apporte de positif aux régions périphériques ? Les transports publics y sont visiblement présents. Dans de nombreux autres domaines, on démantèle et on centralise, alors que dans les transports publics, on développe au contraire les zones rurales. C’est pourquoi je pense qu’il est important de le faire. Le taux de couverture des coûts du car postal dans le Safiental est toujours inférieur à celui du S-Bahn à Zurich. Mais pour l’ensemble du système, ces liaisons ont une valeur énorme. Non seulement pour que l’on puisse aller partout, mais aussi pour la cohésion entre la ville et la campagne.
Qu’en est-il dans les autres pays voisins ?
La France et l’Italie ont des réseaux à grande vitesse extrêmement performants. Depuis Milan, on est à Rome en trois heures sans arrêt. Mais cela n’a rien à voir avec le transport régional. En Suisse, nous disposons d’une chaîne de transports publics continue, nous avons des correspondances attrayantes et harmonisées au niveau de l’horaire, nous avons des liaisons jusque dans les villages et les vallées les plus reculés. En Suisse, on n’a pas le sentiment que seules les villes profitent de l’argent investi dans les transports publics, mais que tout le pays en profite. Nous devons veiller à cette idée fondamentale, que je considère comme très importante du point de vue de la démocratie et de la politique nationale. En Italie, ceux qui vivent à Rome ou à Milan en profitent. Tous les autres ne font que regarder passer la Frecciarossa.
À quoi ressemble votre journée de travail typique ?
Il n’y en a pas, mes journées de travail sont très variées. Elles se composent de nombreux entretiens, de participations à des réunions, mais aussi d’exposés devant toutes sortes de groupements ou de visites d’entreprises de transport. Il faut en effet entendre ce que veut le secteur. Quels sont les problèmes qui se posent à la base ? Il peut s’agir de thèmes liés à l’éducation — le spectre est très large.
Votre journée de travail est plutôt longue ?
Oui, mais elle est généralement très agréable. Par exemple, lorsqu’il s’agit d’inaugurer quelque chose ou de célébrer les 150 ans des chemins de fer appenzellois, je ne me demande pas si c’est un travail ou un loisir. On est crédible que lorsqu’on est sincèrement motivé
Et c’est votre cas ?
Oui. C’est dans mes gènes de m’engager pour une mobilité durable.
Qui peut vous contredire en privé ?
L’écho le plus honnête que je reçois est certainement celui de mes propres enfants — et c’est très bien.
Et cela donne lieu à des discussions ?
Oui, et parfois aussi à des suggestions sur ce que l’on pourrait améliorer dans les transports publics. Et aussi à des remarques sur ce qui est perçu par l’utilisateur, par exemple lorsque je demande : est-ce que vos collègues connaissent l’AG Night ? Ou en ce qui concerne les problèmes d’embarquement des vélos dans les trains : là, j’ai un feed-back direct de la part de mes deux fils.
Que faites-vous pendant votre temps libre : sillonnez-vous le pays en train, en bateau ou en car postal ?
J’aime beaucoup faire des excursions en transports publics, pour faire des randonnées ou pour aller cueillir des champignons. Et j’essaie délibérément de me rendre dans des régions de Suisse où je ne suis encore jamais allé.