Frühfranzösisch – une chronique rédigée en français
Apprendre le français dès l’école primaire pour les petits alémaniques – ou l’allemand pour les petits romands – est souvent vécu comme un fardeau.
Apprendre le français dès l’école primaire pour les petits alémaniques – ou l’allemand pour les petits romands – est souvent vécu comme un fardeau. Ces deux langues appartenant à deux groupes linguistiques totalement différents, c’est un voyage en terres inconnues. Pas grand-chose à quoi se rattraper : les mots ont des racines différentes, ce qui est féminin ou neutre en allemand a toutes les chances d’être masculin en français, selon une logique qui nous échappera toujours. Quant à la grammaire et la syntaxe, elles nous font faire une gymnastique intellectuelle confinant à l’acrobatie. C’est astreignant, il faut attendre des années pour voir récompenser tous ces efforts. Alors que l’anglais ! Ah l’anglais ! en quelques leçons, on a l’illusion de maîtriser et de pouvoir faire des phrases à peu près correctes. Et puis c’est une langue universelle. Quel bonheur que ces séances où chacun parle son propre globish mâtiné d’accent local !
Ça doit être pour ça que, aussi sûrement que Noël arrive en décembre, le débat sur l’enseignement précoce du français à l’école est relancé en Suisse alémanique. C’est le cas en ce moment à Zurich et à Saint-Gall, qui veulent repousser l’enseignement de la deuxième langue nationale au degré secondaire.
Et pourquoi ? pour améliorer les résultats scolaires, encourager la motivation et éviter le surmenage. Et puis de toute façon, le niveau de français au sortir du primaire n’est pas très élevé, alors autant attendre encore un peu, et se concentrer sur l’allemand, les maths et l’anglais. Néanmoins, outre le fait que ce serait contraire au concordat HarmoS, qui veut justement amener un peu d’harmonie dans les plans d’étude en Suisse, ce débat ne laisse jamais indifférent en Suisse romande.
Car maîtriser les autres langues nationales, ce n’est pas utile uniquement lorsqu’on aspire à devenir conseiller fédéral. La Suisse est multilingue. Apprendre les langues des autres, c’est renforcer la cohésion nationale et encourager la compréhension entre les différentes communautés linguistiques. C’est développer nos compétences sociales, et pourquoi pas, donner des clés pour s’ouvrir à la culture de l’autre. Pas besoin d’être parfaits ! On se comprend, même si le verbe n’est pas placé au bon endroit et si on se trompe dans le genre des objets. De toute façon, le français de Romandie est déjà truffé de germanismes. Et on apprécie que vous fermiez les yeux sur nos erreurs d’accusatif et de datif quand on se lance en allemand.
Baisser les bras et refuser l’obstacle, c’est accepter qu’à terme plusieurs populations vivent les unes à côté des autres sans pouvoir se parler autrement qu’en mauvais anglais, ce qui serait un comble alors qu’on a la chance d’avoir quatre langues nationales. Ce serait une défaite de notre volonté, un renoncement.
Et puis s’il fallait trouver une motivation supplémentaire à s’immerger dans la langue de Molière : c’est la 5e langue la plus parlée au monde, avec plus de 300 millions de locuteurs. Vous trouverez des francophones sur les 5 continents, un privilège partagé avec le seul anglais. Donc au-delà de se comprendre avec les plus de 2 millions de romands du pays, le français vous ouvre les portes du monde. Ça vaut bien quelques heures à suer sur la conjugaison et l’orthographe.
Quant à la relation des romands à l’allemand ? C’est sans doute Mark Twain qui résume le mieux la mienne : « J’ignorais jusqu’ici à quoi servait l’éternité. Ça sert à nous offrir une chance d’apprendre l’allemand. »
Ce que les électeurs des partis populistes veulent vraiment