L’Aveu
Italie/France 1970, de Constantin Costa-Gavras, avec Yves Montand et Simone Signoret

Spoiler-Alert
Dans la Tchécoslovaquie de 1951, le vice-ministre des Affaires étrangères Gérard se rend compte qu’il est suivi. Peu de temps après, il est arrêté, enfermé dans un cachot, torturé et interrogé. Il est accusé, avec une douzaine d’autres personnes incarcérées, pour la plupart d’anciens trotskistes d’origine juive comme lui, de faire partie d’une affaire internationale d’espionnage et de haute trahison au service des États-Unis.

« Vos amis que vous protégez sont tous ici et ils parlent. (…) La seule chance de sauver sa tête c’est d’avouer », lui annonce un officiel chargé de l’interrogation. La demande de Gérard de parler à quelqu’un du parti est refusée. Après avoir été privé de sommeil et maltraité, Gérard signe lui aussi des auto-accusations, veut revenir sur ses faux témoignages, se fait battre et finalement est complètement brisé.

Lors du procès-spectacle, de nombreux accusés lisent des « confessions » scriptées par les enquêteurs et répétées pour l’exposé, expliquant comment ils ont collaboré avec les espions américains et britanniques et aidé l’ennemi de classe. Même l’épouse française de Gérard, qui a entre-temps perdu tous ses privilèges et travaille dans une usine, fond en larmes lorsqu’elle entend ses aveux à la radio et croit qu’il est coupable.

En 1956, Gérard est libéré de prison et émigre en France. Il est réhabilité en 1963. Il rédige un livre à partir de ses expériences du début des années 50 et pense que la direction du parti communiste tchécoslovaque est de son côté en 1968. Mais peu avant la publication de son livre à Prague, dans une atmosphère de « dégel » et de relâchement des restrictions, les chars soviétiques rétablissent la répression.

A voir car
Réalisé il y a un demi-siècle, peu après le « Printemps de Prague », sur la base d’un récit autobiographique d’Artur Ludvik, respectivement Artur London, « L’aveu » est une réflexion intemporelle sur la destruction de l’individu par le totalitarisme.
La composition est brillante : images oppressantes de la prison et du procès, analyse ultérieure en voix-off et dans le cadre d’une discussion avec d’autres anciens résistants une décennie et demie plus tard, images historiques de l’Union soviétique et images de l’invasion de Prague en 1968.
Un exemple classique du cinéma politique engagé de Costa-Gavras, dont l’œuvre s’étend de la dictature militaire grecque (« Z ») à un film Schäuble-Varoufakis (« Adults in the Room »), en passant par les États-Unis en Amérique centrale (« Missing ») et l’Église catholique pendant la Seconde Guerre mondiale (« Amen », d’après « Le Vicaire » de Rolf Hochhuth).

Stratégie gagnante
« Le parti a toujours raison ». Dans la fenêtre temporelle couverte par le film, de 1951 à 1968, la politique de pouvoir soviétique s’impose sur toute la ligne. Les personnes arrêtées « avouent », s’accusent mutuellement et confessent publiquement des péchés inventés. Certes, une nouvelle vague d’épuration discrédite ensuite les enquêteurs et certains responsables des premières persécutions. Mais les coupables se considèrent également comme des victimes : « Qu’est-ce qui nous est arrivé ? », s’étonne le tortionnaire de Gérard lors d’une rencontre fortuite ultérieure, ajoutant qu’il avait obéi aux ordres. Avec une brutalité rigoureuse et sans aucune considération pour les pertes humaines – « comme les nazis » – le système s’impose dans la durée. Lorsque le « dégel » s’empare de la direction du PC tchécoslovaque, les chars soviétiques déferlent sur Prague, écrasant la vague de libéralisation au profit de deux décennies supplémentaires derrière le rideau de fer.

Stratégie perdante
Les personnes arrêtées essaient de comprendre ce qui se passe (« posez-moi des questions précises ! »), d’aider (« au début on cherche à aider le parti ») et d’expliquer, seraient prêtes à admettre des erreurs (« on est tous disposés à faire son autocritique, à admettre des erreurs »). Ils ne peuvent pas imaginer que leur traitement ne repose pas sur une erreur. Faute d’alternative, ils acceptent la consigne d’action des sbires du régime selon laquelle leur seule chance est de faire entièrement confiance au parti. Mais les aveux forcés ne profitent qu’à la dictature du parti. Les personnes concernées sont condamnées à la prison et/ou à la peine de mort.

Comment la politique est-elle représentée ?
Les procureurs et les juges, la police et les services secrets sont les moyens avec lesquels un secrétaire général impose la domination de son système dans un immense bureau, jusqu’à ce qu’il ait lui-même survécu à son utilité pour le système ou que celui-ci cherche un coupable pour les dysfonctionnements passés. Le « parti » et les « camarades conseillers » soviétiques anonymes sont certes invisibles dans le film, mais ils constituent le pivot de toute la domination. Le pouvoir mis en scène du personnel actuel, avec ses grands bureaux, ses résidences et ses voitures de fonction, est une façade extrêmement instable et la politique une carrière extrêmement risquée pour le corps et l’âme.

Thématiques
Totalitarisme, communisme, parti, justice

Citation
« L’individu, dans son angoisse non pas d’être coupable mais de passer pour l’être, devient coupable. »

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